Chaire de recherche UQTR Junior

Description

Les imaginaires collectifs et sociétaux sont influencés par les technologies numériques, tout autant que ces nouvelles technologies sont le produit de représentations sociales, de discours particuliers et de visions du monde. Examiner ensemble ces deux domaines, comprendre leurs interactions, tel est le mandat que se donne la chaire de recherche UQTR junior sur les imaginaires des technologies numériques (2024-2027). Elle vise à penser la société d’aujourd’hui et de demain, et l’étroite intrication entre ces technologies et ces imaginaires émergents dans un contexte marqué par de multiples crises (climatiques, sociales, politiques, éthiques). C’est donc suivant cet esprit que le programme de la chaire se structure autour de trois grands axes originaux, interdisciplinaires et intersectoriels.

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Axe 1 – Typologie des imaginaires du développement technologique

Ce premier axe de recherche questionne le développement des technologies de l’information et de la communication par le prisme de la notion d’« imaginaire ». Partant de représentations médiatiques et socioculturelles (œuvres littéraires, cinématographiques, etc.), de discours (discours publicitaires, discours institutionnels, etc.) et d’expérimentations matérielles (formes technologiques, projets de conception, expérimentations artistiques, etc.), il a pour objectifs 1) de dresser un inventaire réflexif des types d’imaginaire du développement technique qui coexistent et de les faire dialoguer et 2) de rassembler une communauté de chercheur·e·s de la Francophonie intéressée à les analyser à l’aide d’approches et de méthodes variées. Les travaux issus de cet axe poursuivent notamment les travaux de P. Musso (2014) en interrogeant de façon critique les différentes trajectoires techniques (Gras, 2003 ; 2013) en Occident et au-delà. Dans un contexte marqué par des débats de plus en plus polarisés, cet axe de recherche aborde les questionnements soulevés par le développement technologique et les types d’imaginaires qui l’accompagnent ; à partir d’approches interdisciplinaires, l’ambition de cet axe est de catégoriser et de « cartographier » ces imaginaires, d’observer comment ils sont configurés : quelles formes adoptent-ils, quelles valeurs et visions du monde portent-ils, à quels moments émergent-ils, quels buts les animent et quels groupes les ont forgés ou s’en font le relais? Cette typologie vise à saisir de la diversité des perspectives qu’introduisent ces imaginaires : par exemple la frugalité technique, les technocritiques (Jarrige, 2014), les visions « non développementalistes » ou décroissantistes, voire alternuméristes (Laïne, Alep, 2020) qui prolongent les travaux d’Ellul (1988), d’Illich (1973) et de Castoriadis (1975) ; celles du « techno-discernement », voire du renoncement (Bonnet, Landivar, Monnin, 2021) ; les approches féministes, intersectionnelles (Yamagushi, Burge, 2019) et décoloniales du développement technologique ; de même que celles qui leur sont opposées et « extrêmes » tels que les imaginaires transhumanistes. Il s’agit ainsi d’« ouvrir » les possibles et de déconstruire avec nuance certaines évidences reliées aux mythes du progrès, de la croissance et de la puissance dans un contexte environnemental préoccupant.

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Axe 2 – Sens, signification et algorithmes du quotidien : technomémoires

Cet axe s’intéresse aux enjeux de l’intelligence artificielle (IA) et aux dynamiques de sens et de signification dont ceux-ci sont indissociables. Les recherches menées se focalisent particulièrement sur les technologies mnésiques émergentes selon deux grands points de vue : 1) l’analyse des nouvelles technologies de gestion de la mémoire et des souvenirs personnels et des imaginaires sociotechniques (Flichy, 2003) qui les accompagnent à partir de différents types de discours ; 2) les usages de ces technologies par les individus ainsi que les représentations sociales et les fantasmes qui sont associés à celles-ci (par ex. : la « vie numérique » après la mort). La première orientation (projet FRQSC 2021-2024) s’inscrit dans le prolongement des études sur la mémoire matérielle (Van Dijck, 2007 ; Garde-Hansen, 2011 ; Erll, 2011 ; Hoskins, 2018). Y sont explorées les technologies dites « émergentes » spécialisées dans la production de souvenirs et la « gestion » de la mémoire personnelle du quotidien au 21e siècle. Il s’agit de se pencher de façon critique sur les nouvelles formes de médiation de la mémoire mobilisant différentes techniques numériques récentes, à savoir l’IA, la réalité « augmentée », la réalité virtuelle, les médias socionumériques et les objets connectés. Ces technologies émergentes reliées à la mémoire soulèvent de nombreux enjeux (Dodge et Kitchin, 2007 ; Van den Hoven, Sas et Whittaker, 2012 ; Jacquemard et al., 2014 ; Burkell, 2016) allant des défis posés par les nouvelles formes d’industrialisation et de marchandisation de la mémoire et de ses traces (Stiegler, 1991 ; Niemeyer et Douaud, 2018 ; Rouge, 2019) à ceux de la production automatisée des souvenirs et des récits mémoriels (Jacobsen et Beer, 2021) par les « assistants mnésiques intelligents ». Un certain nombre de programmes algorithmiques issus du domaine de l’IA sont aujourd’hui spécialisés dans la collecte et le classement des souvenirs matériels des personnes. Ces « automates mnésiques », à l’exemple de Google Little Patterns et de Personal AI, sont conçus comme des prothèses externes de mémoire personnelle et prétendent proposer des récits préfabriqués destinés à se substituer ou à dédoubler ceux émanant des individus. Ils participent à catégoriser de façon uniforme les « souvenirs » par le biais de différents types de techniques dites « intelligentes » reproduisant par analogie une partie des facultés cognitives et mnésiques (production d’images et de traces issues de techniques de reconnaissance faciale, de reconnaissance des émotions, de reconnaissance vocale, de géolocalisation, etc.) dans un contexte marchand. Que se passe-t-il lorsque des entreprises privées hégémoniques « dictent » la manière de se souvenir et imposent des catégories et des formes narratives ? Lorsque la mémoire matérielle est filtrée et analysée en permanence par des algorithmes ? Est-ce à dire que nos souvenirs numériques ne nous appartiennent plus vraiment et qu’ils sont exploités à des fins que nous ignorons le plus souvent ? Afin de mieux cerner ces objets, je travaille à mieux saisir les imaginaires sociotechniques (Flichy, 2003 ; Jasanoff et Kim, 2015) liés à ces objets, ce qui suppose d’analyser différents corpus de discours (science-fiction, publicité, presse, interfaces) pour mieux cerner les idéologies, les promesses, les représentations sociales, ou plus largement les formes rhétoriques qu’ils portent, qui sont à leur fondement et qui traduisent certaines visions du monde et du social. De façon complémentaire, l’équipe de cette chaire aura pour objectif de mieux comprendre les usages et les représentations sociales liées à ces « nouvelles » façons de se souvenir. Sur les bases des approches de la sociosémiotique (Peirce, 1977 ; Bonenfant et Couturier, 2022) et de la sociologie des usages (Jouët, 2000; Denouël et Granjon, 2011; Coutant, 2015; Proulx, 2015), la chaire me permettra de poursuivre la collecte de données par le biais d’entrevues avec des usagers et des usagères qui emploient quotidiennement ce type de technologies mnésiques. Dans le cadre du projet « Les hyperdiaristes au Canada : de la préservation technologique de la mémoire à la postmortalité transhumaniste » (CRSH, 2022-2024), mon équipe a en effet commencé à mener des entrevues avec des membres de la communauté des « hyperdiaristes » (lifeloggers), c’est-à-dire des individus qui enregistrent leur vie parfois 24 h sur 24 h au moyen d’appareils numériques automatisés. Ces pratiques marginales de captation numérique des interactions et des moments les plus banals de la vie quotidienne génèrent une énorme quantité de données à potentiel mnésique. Bien que les études scientifiques soient peu prolixes sur le sujet (et quasi inexistantes en français), ces individus semblent à l’avant-garde des questions entourant l’IA et le transhumanisme. Leur pratique participe, dans certains cas, à une quête destinée à créer une « mémoire totale » personnelle, ainsi qu’à celle d’une « vie » post mortem dans une machine. Ce projet a l’ambition de décrire les liens entre ces pratiques technologiques, les souvenirs, le transhumanisme et la « vie après la mort » en prenant en compte les points de vue, croyances, récits et représentations des individus concernés.

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Axe 3 – Rhétoriques, métaphores et technologies numériques d’information et de communication

Ce dernier axe, complémentaire aux deux premiers, s’inscrit dans le sillage des recherches que j’ai entamées sur la rhétorique et les typologies de métaphores entourant les technologies émergentes et dont les premiers résultats ont été publiés dans Rhétoriques, métaphores et technologies numériques : l’influence du langage sur notre perception de la numérisation du monde (codirigé avec M. Bonenfant, 2022, PUQ). Ancrés dans les études sémiotiques et rhétoriques, ces travaux cherchent à mieux saisir les figures de rhétorique qui influencent la compréhension que l’on a du numérique et qui peuvent parfois détourner les citoyen·ne·s d’enjeux fondamentaux à l’égard du développement technologique. Fournir des outils réflexifs pour l’éducation aux médias et la littératie médiatique forme la mission principale de l’axe. Ce chantier poursuit aussi 2 sous-objectifs : 1) compléter le répertoire de métaphores verbales, mais aussi visuelles, liées aux TNIC et analyser les enjeux pragmatiques de ces figures (Bonhomme et al., 2017) (par ex. quels sont leurs effets potentiels sur la compréhension des technologies ?) et 2) créer une plateforme de diffusion des résultats utilisant les techniques innovantes de la datavisualisation et ainsi tirer profit du potentiel des humanités numériques et de la recherche-création.

Titulaire de la chaire

Emmanuelle Caccamo est professeure en études sémiotiques au Département de lettres et communication sociale de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) au Québec, Canada. Ses recherches portent sur les imaginaires et les discours entourant les nouvelles technologies numériques ainsi que sur la médiation de la mémoire individuelle et des souvenirs (technomémoires, lifelogging). Elle est également cofondatrice et directrice générale de la revue d’exploration sémiotique Cygne noir.